Artiste franco-anglaise, Tali Randall dessine entre Paris et Saint Jean de Luz. Son travail, nourri de références cinématographiques et picturales, explore les frontières subtiles entre le fantastique et l'intime, capturant des fragments de narration empreints de poésie silencieuse.

Tali Randall

Tali Randall a toujours dessiné, c'est sa façon d'être au monde. Elle a d'abord été illustratrice pour enfant tout en poursuivant une œuvre plus libre sous le nom de sa mère. Ainsi est né ce petit théâtre de l'intime qu'elle renouvelle sans cesse. Un théâtre foisonnant où tous les personnages ont un air de famille : des hommes, des femmes aux corps robustes, aux formes pleines, en équilibre sur un trapèze ou un ballon, virevoltant au bord d'un précipice, étranges funambules sur des cordes en pointillés... Des personnages à l'expression énigmatique si occupés à vivre qu'ils ne voient pas que le sol se dérobe sous leurs pieds.
Parmi eux, des créatures ailées, anges, corbeaux qui marchent plus qu'ils ne volent, des danseuses à chevelure de Méduse, des diables aux ombres incertaines tout droit surgis d'univers fantastiques
"Je ne cherche pas à représenter de personnage précis, jamais de portrait, plutôt des stéréotypes, c'est pourquoi j'aime utiliser les héros de contes, de mythe ou de romans fantastiques. Tout le monde les connait et ils portent en eux des histoires que chacun peut se réapproprier. Réels ou imaginaires, ils prennent leurs aises dans des décors quotidiens, sobres. Une colline dénudée (mais avec un pin parasol), une chambre monacale ( mais avec rideau de théâtre), un cirque (mais sans chapiteau)... Ils se divisent ou bien se démultiplient, semblent interroger leur ombre à moins que ce ne soit le contraire. Ils s'amusent à jouer avec l'horizontale, la verticale, la diagonale, pour traverser le décor ou occuper l'espace. D'un dessin à l'autre les personnages se répondent, reliés par un fil solide. Parfois, une courte phrase accompagne ses tableaux, la première ou la dernière, on ne sait pas, d'une histoire que l'on croit connaître, un roman lu il y a longtemps ou un film évidemment : L'égarée, Secret love, Rendez-vous manqué, Le grand sommeil... On y voit un indice, on y cherche un sens caché et puis on renonce, on se contente de regarder ces héros bondissants calibrés pour survivre à n'importe quelle chute Et peu importe que la Mort armée de sa faux vienne régulièrement les visiter telle une vieille connaissance : ils reapparaîtront demain. "

Ou vivez-vous et où travaillez-vous ?

Je vis et travaille entre Paris et Saint Jean de Luz 

Comment vous êtes vous construite
artistiquement ?


Avec les images des autres. Très jeune avec une amie, nous allions tous les mercredi au Louvre. Au milieu de tous ces tableaux, on se construit une famille faîte d'artistes que l'on aime, de ceux que l'on n'aime pas et de ceux que l'on aime avec mauvaise conscience, de façon un peu honteuse. J'ai un goût naturel pour le kitsch, le pathos. Je cherche à l'effacer dans mes dessins mais il me semble qu'il en reste toujours quelque-chose.

Qu'est-ce qui vous a conduit vers le dessin ?

Le dessin est une façon de noter, je dessinais enfant et je n'ai pas arrêté..

Quelles techniques utilisez-vous ?

Cela dépend, pendant longtemps j'ai travaillé avec une plume très fine et de l'encre. Actuellement, je travaille essentiellement au fusain, pierre noire et pastel. Cela nécessite à la fois un geste plus ample qu'à la plume et ce sont des matières poudreuses, cela donne au dessin une matière et une sensation de fragilité que je n'obtenais pas avec l'encre.

Chaque dessin semble s'inscrire dans une narration.. Plus qu'une narration, je dirais une phrase isolée, sortie de son contexte. Ni début ni fin , c'est un moment, un état, un fragment de narration, le reste a disparu ou plutôt est absent du dessin mais compte tout autant.

Y a-t-il toujours une référence...?

J'imagine qu'il y a toujours des références dans mes dessins, que j'en ai conscience ou pas. Cela renvoie à ce que j'ai vu ou lu et à une culture commune, le sphinx, la symbolique du corbeau, les contes....

Quelles sont vos inspirations....?

Je suis de fait proche de ces peintres, la dimension fantastique, l'absurde de Topor ou sa façon de déformer le corps pour exprimer une émotion mais très souvent, ce que j' ai en tête quand je dessine, ce sont des peintres qui sont très loin de moi. Les peintres du silence, Zurbaran, Morandi, Pierro Della Francesca, Manet. Le toreador mort de Manet est une peinture qui m'accompagne constamment. Rien d'autre sur la toile que cet homme mort qui semble très vivant .Les anglais disent still life pour nature morte, cela me plaît beaucoup.

Êtes-vous fille d'une tradition ?

J'imagine que quand on fait du dessin, on s'inscrit nécessairement dans une tradition, une continuité. C'est un geste humble qui nécessite un coin de table, un papier, un crayon mais ce n'est pas quelque chose que je revendique, c'est comme ça.

Les pauses comme en équilibre....

J'ai fait des études de cinéma et de fait, j'emprunte énormément au cinéma muet. Le geste forcé et dramatique qui dit le sentiment, une façon de surjouer, un cadrage serré, un éclairage très contrasté comme dans les films de Murnau mais j'ai également été très marquée par l'approche de Lubitsch, comment parler légèrement du tragique.